J’ai lu ce recueil de Dorothy Allison sans rien savoir d’elle ni des Feminist Sex Wars, de la misogynie si bien intériorisée qu’elle s’est manifestée entre femmes, entre féministes même. All women are equal but some women are more equal than others, en quelque sorte. Manifestement t’étais moins égale quand tu venais d’un milieu ouvrier, que t’étais pas la fille du mec de ta mère, que tu écrivais sur les abus dudit mec et d’autres, et que t’avais de surcroît l’idée saugrenue d’être lesbienne et de ne pas t’en cacher (la discrimination avait l’air telle que je me suis demandée si elle n’était pas Noire, mais apparemment pas).
Plutôt que de mal résumer l’essai de Lucile Dumont qui occupe la moitié de l’ouvrage à le remettre en contexte, comme d’hab des extraits (j’aurais aimé une édition bilingue) :
Petite sœur toute rose aux yeux bleus,
petite sotte, petit animal de compagnie
avec tes yeux de verre vide
Comment je
te détestais, t’aimais, te voulais
fondue dans mes os
crevais d’envie que tu me passes le miel
avec lequel tout le monde te regardait.
Les femmes qui me détestent
détestent
l’insistance de leurs désirs, le débordement de leurs envies
ravalées et enfouies, disciplinées jusqu’au néant
[…]
Les femmes qui la détestent d’aimer les femmes.
Comment je peux parler d’elle, de nous deux ensemble ?
De quand elle me touche et que ça me réchauffe
d’entre mes jambes à mon visage
de son visage, terrifiant, merveilleux.
De quand je lui dis, « Ouais, nom de Dieu, ouais,
enfonce moi, apaise moi, baise moi, tout ce que tu veux… »
jusqu’à ce que je refuse une seule chose
[…]
son poing s’agite dans un courant d’air
un courant d’air qui revient sur la joue de ma maman
en passant par le bras de mon beau-père.
Ces deux derniers vers sont incroyables — de violence et d’adresse narrative, à court-circuiter le récit pour dire ce qui du trauma est hérité, se reproduit depuis et hors de l’hétérosexualité.
Je dis que la source de la peur
c’est le choix.
La source de tout désir :
le choix.
Dans la campagne terreuse où je suis née
les mots pour me nommer étaient si terribles
que personne ne les disait
[…]
J’ai compris que la chose que personne ne disait
était celle contre laquelle on ne pouvait rien.
Si personne ne disait Lesbienne
je ne pouvais pas dire fierté.
[…]
Si personne ne m’appelait Bâtarde, bonne à rien, idiote, putain
je ne pouvais pas me saisir de ma propre parole,
de mon amour pour celles de mon espèce,
pour moi-même.
Je n’ai jamais été capable de lui résister
les muscles d’une femme solide qui rit
ses mains râpeuses quand elle me retourne
me parle mal, me traîne d’avant en arrière,
quand elle baise comme un océan, comme une brute
laisse des marques de suçons
de morsures en forme de coquillages, […]
Ce n’est sûrement pas aussi bien que ça en a l’air
les femmes qui vont passer l’été en France
un croissant tartiné de beurre jaune
de la crème dans le café. Moi, je grossis
à Brooklyn.
« Les filles », elle a dit,
et alors j’ai su pourquoi elle nous avait interpellées,
ce qu’elle avait vu
dans la façon qu’avait mon amante
de me toucher la nuque, j’ai su
qu’aucune d’entre nous ne prononcerait le mot,
ne dirait lesbienne ni même amoureuses.
À la place, on a parlé de maisons, de cuisines
[…]
« Mais vous pouvez y arriver. Trouvez-vous un petit
truc important pour vous et travaillez-y
en y mettant du temps, des efforts, et prenez-en soin. »
Tu ne m’as pas demandé d’expliquer,
tu m’as juste prise dans tes bras
et tu m’as déchargée d’un peu de ma peur de mourir.
[…]
tu t’es glissée sur moi et tu as posé
tout ton corps contre le mien
avec douceur, ta main dans mes cheveux,
ta bouche sur mon oreille,
tu m’as enveloppée de silence et d’amour
et des muscles de tes cuisses
et tu m’as laissée pleurer. tu m’as laissé pleurer
comme personne ne m’avait encore jamais laissé pleurer.
C. met du beurre sur la gâche comme le boyfriend sur les croissants ; je suis entourée de bons vivants. Grande inspiration pour aller me doucher dans les remontées d’égout (dégoût), la matinée est déjà passée. Dans des pots vides de poivre et de compléments alimentaires dont je ne savais pas pourquoi je les gardais, je glisse quelques cuillerées à soupe d’épices de différentes couleurs — c’est toujours celles que j’utilise le moins que j’ai trouvées en plus grande quantité.
Des touches de couleur violettes sont apparues le long de l’eau au parc Barbieux. « Hêtre à poil et charme à dents », C. me fait découvrir l’effiloché des feuilles de ce qui se trouve donc être un hêtre. Un peu plus loin, on sèche devant des tiges de fines fleurs blanches oblongues : un pavier blanc ou ??, la reconnaissance d’images ne permet pas de trancher. Chirashi saumon-thon-daurade ou chirashi façon tartare avec des herbes et de la vade retro coriandre, C. tranche pour l’originalité après avoir été copieusement influencée et m’invite. Les dés de saumon et d’avocat me ravissent à proportion des graines de sésame qui les parsèment. J’entends par-dessus, dans le lointain de la dégustation, des interrogations sur un couple sans langue maternelle commune ; pour elle et son compagnon, pour moi et le mien, les discussions font partie de l’intime, nous en avons besoin, et de sauce soja avec le poisson cru, je me lève pour récupérer les Kikkoman de la table d’à côté. Elle aimerait savoir dire non comme moi ; j’envie sa plus grande souplesse d’esprit. (Je ne sais souvent pas ce que je veux, mais je sais ce que je ne veux pas.)
Après l’application de reconnaissance botanique au parc Barbieux, c’est une application de mesure sonore que C. dégaine dans le métro. Les 70 à 80 décibels constants confirment mon impression : le métro lillois est plus bruyant que le parisien. Je songe à acquérir un casque anti-bruits pour atténuer la fatigue des sept heures que j’y passe sur une base hebdomadaire.
À Lille, il y a
du soleil (!), on plisse les yeux
des pavés qui ne glissent plus
du cramique à rapporter aux collègues
des gaufres comme chez Meert mais moins chères que chez Meert
des vitraux modernes dont C. reconnaît les épisodes
aucun ancien titre sur les rayons danse du Furet et de la FNAC que j’ai connus plus complets
une architecture que l’on admire quand on réussit à décoller nos yeux des injonctions à consommer du rez-de-chaussée (et moi à décoller la cataracte de l’habitude)
des glaces pour savourer les vacances et l’amitié (pistache-pamplemousse après le chirashi saumon-avocat : le code couleur est respecté !)
une pause devant le conservatoire
sur la fontaine de la grand place
dans le parc près de Lille Europe (on fuit pour ne pas être stone)
dans la gare
avant de retirer nos lunettes pour se claquer la bise
et redescendre chacune sur son quai
de train
de métro
Vague de glace pistache et écume de sorbet pamplemousse
Au retour, je trouve une pile de Magazine M dans la boîte à livres : parfait matériel pour une autre après-midi de collage pluvieuse qui n’aura pas lieu (de suite). L’amitié qui rend tout plus fluide, plus neuf, plus simple, plus gai m’avait manqué. Je le savais, j’avais oublié à quel point. Il faudrait j’ai envie, vais tâcher de ne pas me faire ravaler par le tunnel, de ne pas évoluer étriqué à distance de cloisons dont je n’avais même pas remarqué l’apparition, muettes, transparentes. Au dîner, je mange le dernier scone au cheddar congelé l’été dernier au retour d’Angleterre. Aller de l’avant, on a dit, et recommencer.
Mardi 8 juillet
Moustique ou acouphène ? J’ai parié sur l’acouphène et me suis réveillée avec trois nouvelles piqûres, dont une dans la paume de la main.
J’ai branché un clavier ergonomique à mon Macbook, rehaussé sur une boîte à chaussure pour ne plus avoir à choisir entre douleur dorsale et tendinite. La posture est meilleure, mais je n’avais pas anticipé que le clavier Microsoft serait lu comme un clavier Apple. Où êtes-vous ? Venez, venez, mes petits caractères spéciaux.
Qui dit épilation dit podcast : Roxane Stojanov dans Tous danseurs. J’ai trouvé ça un peu gros qu’elle entre à l’école de danse de l’Opéra en ignorant que cela menait au ballet et à la carrière de danseur professionnel, puis je me suis souvenue que j’étais allée en classe préparatoire en ignorant tout de l’école à laquelle elle préparait (ça me permettait de repousser le moment de choisir une unique matière).
Cours de stretching postural. Quinze jours suffisent pour que mon corps entonne du Marc Lavoine : j’ai tout oublié quand tu m’as oublié. On ne s’énerve pas contre son soi-même, comme dit la prof, mais quand même un peu. Ça va rotationner, oui ?
Sur le dos comme un insecte renversé, un élastique passé au pied et tenu dans chaque main, j’essaye de développer par les ischio-jambiers sans engager le quadriceps (histoire de bypasser le genou). C’est mou du genou des ischio-jambiers, mais dur des adducteurs qui me font trembler, tétanisés dans leur contraction excentrique.
Mon genou ne peut pas (encore ?) aller dans l’hyperflexion (je renonce à m’agenouiller), ça me dépite, puis j’apprends que S. annule ses vacances pour être opérée rapidement des ligaments croisés ; finalement j’aime bien mon ménisque fissuré.
En visio, à distance, on tente de dénouer l’appréhension d’une plus grande distance encore, d’un déménagement auquel je ne prends pourtant pas part — auquel je ne prends justement pas part. De n’être pas concernée, je m’éloigne avant qu’il ne s’éloigne de moi, repli protecteur qui pourrait se transformer en prophétie autoréalisatrice si le boyfriend ne savait si bien me faire parler. Alors on parle. Déménagement, place à laquelle être.
Mercredi 9 juillet
Les courbatures aux adducteurs, bordel. Du blog, de la lecture. Retour de la tendinite flamboyante : j’en prends conscience en me lavant les mains ; le contact de l’eau qui coule est douloureux (!).
Chaque jour, le même effort pour cesser d’en faire et s’extirper d’une vision productiviste du temps. Avec précaution, pour éviter l’écueil de l’à quoi bon.
Vers 19h, je me désadosse du pin à l’ombre duquel je lisais pour m’allonger sur la pelouse en pente : le soleil est parfait, caresse le corps sans brûler, comme s’il sortait d’un bain de mer. Pour la première fois de la saison, j’ai la sensation de profiter de ces soirées d’été, sans regretter de n’avoir personne avec qui les prolonger.
Vous vous souvenez de ce dessin de xkcd ? Depuis que j’ai découvert des communautés de bunheads sur Reddit, je fais la même : I can’t. Someone is asking for ballet advice on the Internet.
Jeudi 10 juillet
Cours de stretching postural : il manque toujours des muscles-maillons dans la chaîne musculaire de l’en dehors, on cherche à les engager tous, davantage, mieux, dans la durée, en rotation. Un observateur extérieur ne nous verrait rien faire, plantées en demi-plié à la seconde ; intérieurement, ça travaille dur. En petite fente, pied arrière en demi-pointe, on cherche à étirer activement le dessus de la cuisse (comme si on était sur un tapis de yoga et qu’on voulait le déchirer) — c’est l’allongement que l’on est censé retrouver en arabesque. Mes adducteurs aiment-détestent l’étirement final que je proposerais bien en barre au sol s’il ne requérait deux élastiques par personne : allongé sur le dos, un élastique dans chaque pied et chaque main, on ouvre en double attitude en poussant les cuisses avec les coudes.
Pendant, après le cours sur un banc, je discute avec L. Du gaspacho au bout du nez, elle me donne des nouvelles du milieu, me raconte la difficulté à trouver du travail pour les dernières diplômées. J’ai vraiment eu de la chance de tomber sur une année où 1) nous n’étions que deux diplômées en danse classique, 2) une professeur de danse de la région prenait sa retraite, offrant un grand nombre d’heures à reprendre.
L’après-midi se passe à lire : Les Femmes qui me détestent ; à regarder puis écouter : un entretien Blast avec une jeune sexologue au discours libre et bien campé, bouche rouge sur chemisier blanc. Explorer et communiquer, c’est entendu, mais jamais n’est abordé comment rewirer des désirs et fantasmes formatés par la société. J’écoute, je regarde de moins en moins, allongée sur le canapé puis dehors sur le tapis de yoga à regarder les cimes du saule pleureur s’agiter dans la golden hour.
Tentative de cilbir, recette issue de L’œuf quotidien (Christine Legeret, First éditions)
C. et moi cuisinons ensemble en visio, la même recette chacune chez soi (à quelques ingrédients et raccourcis près). On rit ensemble de nos hésitations et nos misères, l’alarme incendie qui se déclenche au beurre brûlé, l’œuf poché (mon premier !) qui perd un peu de blanc pas encore blanc, puis on tombe d’accord que ça ne ressemble à rien mais ce n’est pas si mal, et une fois le tout saucé et commenté, on discute encore une bonne partie de la soirée — discussion fleuve en mégapixels.
Vendredi 11 juillet
Dans un demi-sommeil, j’aperçois l’aura vibrer au coin de ma paupière (côté droit, tiens) : autant rester couchée et éluder la migraine en me rendormant. Au réveil, ne reste que la fatigue d’une douleur que je n’ai pas sentie.
Enfin, je me sens, bien, souple dans les heures, dans l’air sur ma peau, en vacances. Les endorphines jouent probablement : je n’ai aucune envie de faire du sport, mais jouer avec mes jambes sur le tapis de pilates traîné pour somnoler dehors, ça oui, pourquoi pas, jusqu’à faire une bonne séance, tester au débotté des exercices de barre au sol trouvés sur un nouveau compte Instagram — décidément les artistes du Royal Ballet font de bons coachs.
Deuxième (second ?) test d’œuf poché, avec la louche Nessie cette fois-ci : encore moins concluant.
Les arbres aussi ont le droit de se faire des mèches.
Les premiers lotus fleurissent
(je ne suis pas au parc Barbieux pour vérifier)
Samedi 12 juillet
La ligne 4 est fermée pour travaux. Ce sera donc le RER B. Qui reste coincé à Saint-Michel, un train en panne à Luxembourg. Ce sera donc le bus 34. Qui part de gare du Nord en suivant le trajet de la ligne 4 et arrive blindé. Ce sera donc le bus suivant. Qui est terminus à Luxembourg. Ce sera donc encore le suivant. Dans lequel on peut, victoire, se sardiner. Arrivée à porte d’Orléans, je ne repère ni le 68 ni le bus de substitution (qui substitue sur une portion moindre de ce qui est hors service) : ce sera donc à pieds que je rallierai Montrouge, tirant derrière moi exaspération et valise cabine. Paris, ce sera donc sans moi.
À l’arrivée : le boyfriend, des cartons, du houmous à la menthe et au citron confit.
Dimanche 13 juillet
[rêve] enlacée au lit avec la couette et un jeune inconnu, corps délié, muscles discrets, peaux parcourues, avec les mains avec plaisir, simple doux partagé, je caresse ses cheveux, culpabilité fugace pour le boyfriend c’est vrai c’est autre chose, juste là maintenant ça n’a pas cours, c’était trop fort non ce n’est pas vrai c’est très doux, les caresses des corps sans pénétration, est-ce qu’il y fait mention, je n’entends pas bien et soudain il a honte il a honte, se couvre le sexe des mains tandis que je le rassure, éponge aux Kleenex les traces d’urine sur les draps vert d’eau, le boyfriend pourrait le voir, je demanderai à l’hôtel de changer les draps, reléguée au second plan son inquiétude et la mienne, ce n’est pas grave, ce n’est rien, salive sperme cyprine sang urine on ne ferait pas de sexe si on craignait les fluides, ce n’est rien, le moment reste doux, je vais pour me rallonger près de lui quand…
… 6h30, je suis réveillée en sursaut par un moustique que je ne parviens pas à localiser, malgré un vrombissement soutenu qui devrait impliquer une forte proximité. Je repose l’oreille sur l’oreiller, l’entend plus fort encore : c’était l’acouphène droit qui s’était mis à vibrer.
Je lis Laura Cappelle dans le jardin, un jardin en pleine ville, je lève la tête sur différentes formes de feuilles, différents verts, suis le trajet des branches du cerisier d’à côté, un cerisier en pleine ville, la chance que c’est, que c’était. Bientôt chez le boyfriend il y aura plus de vert et moins de ville. Plus du tout de ville, même.
Allongée sur le boyfriend qui m’enveloppe d’un bras dans le dos, une main à la base du crâne, je me vide de quelques larmes, me retient, il en reste, pressent-il et presse doucement à l’arrière de mon crâne, ça sort, j’ai l’impression d’être une Pompot’ qu’on presse pour bien la vider, je le lui dis, on en rit.
Feu d’artifesses puis feu d’artifice oreilles bouchées, cervicales écrasées, à sautiller dans le dos du boyfriend quand le ciel entier s’illumine et crépite de toutes petites gerbes dorées. Les escarbilles sont ivres, les palmiers secoués, le vent décoiffe les tirs. Je n’avais jamais vu je crois les fusées multicolores qui s’annulent en petites gerbes dorées ni les escarbilles dorées qui éclatent en rouge rubis. Le public était de bonne compagnie dès le début, l’extinction des lumières de ville saluée par un immense ah de satisfaction anticipée. La pluie a commencé à tomber sitôt la ponctuation finale envoyée.
Lundi 14 juillet
Le chat surveille le gros poisson qui fait du bruit dans le ciel, puis après quelques passages s’en désintéresse. Cul à l’extérieur, pattounes à l’intérieur, il laisse l’hélicoptère patrouiller derrière lui. Je guette les bruits du ciel, mais pas d’avions au nez pointu, ni dans le ciel ni à l’écran. À la fin du défilé, je me souviens par déduction : la patrouille de France ne ferme pas le défilé, elle l’ouvre, loupée.
Patterns de désir, patterns familiaux, traits de caractère hérités, expériences passées… les makis nous offrent une longue discussion vespérale sur canapé, écran noir muet — de ces discussions que nous avons généralement plutôt par visio, quand parler permet de rester ensemble plus longtemps.
Mardi 15 juillet
Mon humeur tombe dans une ornière. Tout est vain, rien vraiment plaisant, je n’ai plus l’énergie ou l’envie d’entamer une quelconque activité qui me les ferait retrouver (l’énergie ou l’envie). Jusqu’à ce que par énervement ou par dépit, je massacre en partie l’humeur massacrante sur le tapis de yoga, le reste amadoué par des cacio e pepe. Il faut vraiment que chaque jour, je fasse produire à mon corps sa dose d’endorphines avant que le manque se fasse sentir.
Mercredi 16 juillet
M’astreindre à faire une demie-heure d’exercice ? Mouais, bof. Tester des exercices repérés sur Instagram pour la barre au sol et tenter de raffiner des sensations musculaires ? Une heure est déjà passée. Mes hanches sont ultra mobilisées et j’ai des endorphines pour la journée, ça me la fait. Tout est plus enjoué, j’en joue, médite des ciseaux une bonne partie de l’après-midi en découpant des journaux de décoration qui serviront bientôt à caler les cartons de vaisselle. En podcast, l’interview d’une choréologue, notatrice chez Angelin Preljocaj.
Le boyfriend est rincé de sa journée à liquider l’électroménager dans la maison de ses parents avant la vente, mais trouve tout de même l’énergie de ressortir pour un dernier tour à ce restaurant vietnamien dont on a tardé à découvrir la cuisine délicieuse, cachée dans un boui-boui en plastique.
Soir, tard : un désir dont je ne parviens pas à désirer l’aboutissement. Revenir des larmes enfouies à la surface, s’en (re)tenir à la peau, son odeur, sa douceur.
Les jeunes faucons apprennent à voler
Jeudi 17 juillet
Rencontre du second fils de JoPrincesse, promené en porte-bébé pour acheter son silence et papoter un peu par-dessus par-delà la fatigue que l’on sent immense dans la maisonnée. Six mois à survivre, de son propre aveu, et ça ira mieux. Que l’on puisse vouloir s’infliger ça m’est toujours aussi mystérieux, mais de l’extérieur, pour quelques heures, la fatigue est douce à goûter sur le banc du square, l’aîné et son père dans l’herbe devant nous, un inconnu qui ronfle de plus en plus fort à côté. Les cris reprennent dans le hall de l’immeuble, la parenté se referme sur eux en même temps que la porte de l’ascenseur et celle de l’entrée, chacun de son côté.
Vendredi 18 juillet
J’essaye d’instaurer l’habitude et déroule le tapis de yoga dans la chambre en diagonale pour mon shoot d’endorphines du jour.
Mon sandwich est déjà prêt lorsque C. m’annonce une urgence de boulot ; je sors faire le tour du pâté de maison pour ne pas le manger assise.
Le boyfriend a remis les clés de la maison de ses parents. La vente met un terme à un poids qui n’en finissait pas de peser, mais acte aussi le deuil de ses habitants ; je me doutais qu’au soulagement d’en être débarrassé se mêlerait autre chose. Quelque chose qui « a lâché » : il en dort toute l’après-midi sur le canapé. In fine, on n’ouvrira pas, pas encore, la bouteille de champagne « offerte » par l’agence immobilière.
Après-midi mère-fille pour papoter et tester un nouveau glacier : le litchi du café Isaka est adopté.
C’était le quartier où je travaillais il y a une vie, il y a cinq ans, c’est irréel et toujours identique bien que toutes les boutiques semblent avoir changé. Pèlerinage en pilotage automatique, comme pour rentrer : le jardin du Palais Royal (une peluche Jellycat croissant dans la boutique du conseil constitutionnel), la place devant la Comédie française et sa station de métro perlée, la cour carrée du Louvre et ses pavés plein de mauvaises herbes, le pont en bois pour traverser la Seine, un bout de quai pavé, Saint-Michel et sa fontaine empaquetée pour rénovation. Si on remonte le boulevard, on peut reprendre une glace à la Fabrique givrée — dont acte, sorbet basilic dégusté au jardin du Luxembourg.
Mum s’étonne des chaises libres (inoccupées et gratuites), des palmiers en pot, des fantômes qui descendent les escaliers (des femmes voilées), d’une enfant qui funambule seule sur une rambarde en métal, des papiers dans les arbres fruitiers. Je ne remarque rien, ne vois rien même quand je tente d’observer les bateaux à voile dont l’un reste un instant coincé dans la fontaine : je ne vois plus rien de Paris, du jardin du Luxembourg, je le sais, comme un décor en carton immuable, tout est connu bien trop connu, je m’y déplace comme un guide las, ici ceci, là cela, ne nous arrêtons pas, continuons d’avancer, par ici la visite où l’on ne voit plus rien. Sous 30°, Paris me paraît sale et saturée. Bruyante et grouillante. Je n’ai plus rien à y faire qu’y manger des glaces et m’en extirper.
Mum déverse son affolement qu’elle tente de contenir en perplexité face au déménagement de ma marraine, qui croule sous les affaires de deux générations avant elle et n’aura jamais fini ses cartons d’ici la fin du mois. Ni elle ni moi ne sommes pleines d’envie, et nos mollesses conjuguées ne suffisent pas à nous secouer.
Sorbets basilic et pêche-verveine
Salade melon, concombre, feta, basilic
Le boyfriend et moi continuons à regarder Dark, qui se regarde vraiment à deux. À tour de rôle, nous mettons la série en pause pour demander une confirmation d’identité (c’est bien le mec qui ? le frère de et le père de, qui travaille à ?) ou laisser le temps à une révélation de se développer, une onomatopée suivie d’un temps de réflexion au bout duquel on émet ou on ravale une hypothèse (et s’il était aussi… ?). Je suis bien contente d’être passée outre l’épreuve des deux premiers épisodes à malaxer le boyfriend de peur (ma sueur avait la même odeur qu’après le visionnage de certains épisodes de Black Mirror) : la construction narrative est hyper stimulante, l’enquête sur les disparitions et meurtres d’enfant se muant en énigme où les paradoxes temporels s’élucident ou se brouillent à mesure qu’est fouillée la psychologie des personnages.
Samedi 19 juillet
Le désir renaît régulièrement et se fige dès que ça devient génital. Il est là, pourtant. Blocage.
Ma participation aux cartons est entravée par mon allergie à la poussière. J’ai beau les laver régulièrement, mes mains se mettent à me démanger et Auchan n’a pas de gants sans latex en rayon. Plier les T-shirts et les chemises, porter des trucs à la poubelle jaune, ça je peux faire.
Saule pleureur urbain avant de retrouver celui du jardin
Un verre en terrasse avec des amis du boyfriend : voilà qui répond dans l’idée à mes envies de longues soirées estivales tranquilles. Ils se sont installés au bord d’une route ultra-passante. Il faut s’interrompre quand des camions passent et tendre l’oreille tout le reste du temps pour entendre le murmure à peine appuyé de l’un d’entre eux, régulièrement couvert par la conversation croisée avec son voisin tonitruant. Que des mecs, pères pour la plupart. J’ai l’impression d’être une enfant parmi des adultes ; nous n’avons que 8 ans d’écart, pourtant. La conversation se fluidifie et s’harmonise après la première tournée de bières. J’ai troqué le verre contre un burger VG, dont la digestion est un peu hâtée par la course imposée au retour par les trombes d’eau qui nous tombent dessus et nous trempent comme on n’avait pas été trempés depuis longtemps, même en ayant couru de porches en auvents. Paf, gros splotche dans une flaque inaperçue derrière la buée des lunettes.
Dimanche 20 juillet
À deux jours du déménagement, le boyfriend commence à emballer la vaisselle. J’arrache deux par deux les pages de magazines jusqu’à ce qu’il ne reste plus que l’épine dorsale de colle. Oh, Natalie Portman entre deux assiettes. On s’affaire comme on aurait dû le faire bien en amont. Pour vider, il faut d’abord remplir — l’espace vide avec tout ce qui était rangé (ou sédimenté au point de sembler l’être). Des tas se forment, la poussière vole. Celle au-dessus de l’armoire a au moins cinq ans, dedans je ne sais pas. Il y a des cadavres de mites, des mites vivantes, trois ou quatre, mais aucune trace de leurs méfaits… jusqu’à déplier les écharpes en laine, désormais miteuses, on peut le dire. Des tas apparaissent sur le lit, sur le plancher ; il faut presque la journée pour les transférer dans des sacs en tissu, en plastique ou poubelle. J’alterne le risque entre allergie à la poussière et allergie au latex. À l’heure du goûter, je vide le congélateur : dernier magnum. Et ça repart jusqu’au dîner. Participer au remue-ménage change la donne : ce n’est plus le boyfriend qui part, c’est nous qui le déménageons, l’excitation n’est plus un abandon. Je fais partie du mouvement, ne le subis plus.
Un épisode de Dark puis Fern, l’apprentie de Frieren, devient mage de première catégorie. Le boyfriend la trouve régulièrement insupportable quand j’ai au contraire de la tendresse pour cette gamine douée et susceptible qu’il faut nourrir pour l’amadouer. Quant à Frieren, l’elfe presque immortelle moins indifférente aux autres qu’imperméable aux émotions humaines, je réalise après-coup qu’elle fait un très bon personnage avec TSA.
Lundi 21 juillet
Il devient possible de croire que l’on puisse venir à bout de la poussière, ce n’est pas une mince affaire. J’aspire, dépoile, microfibre, secoue, recommence. Le ventilateur s’ouvre en deux comme une grosse boule à thé. On fait la poubelle d’un caviste pour récupérer des cartons compartimentés. Le tapis du chat regurgite de quoi se tricoter des chaussettes. Le chat, lui, lèche le papier bulle (il adore le plastique) ; on attend avec une certaine délectation peu charitable qu’il croque une bulle, mais le bond ne se produit pas, il ne met pas les dents. Nous si dans le chirashi. Petit coup de mou avant la dernière nuit en ces lieux, qui ont abrité le début de notre histoire.
Je pense aux gestes qui vont disparaître : pousser la porte d’entrée sur le fer forgé ; tirer la cordelette pour ouvrir le loquet trop haut de la fenêtre ; doser la force pour déplier ou refermer les volets des volets sans les claquer ; tenir le dos gondolé de l’armoire pour faire coulisser la porte de la douche ; ouvrir à deux doigts dégoûtés parfois par le collant du graillon les placards de la cuisine, se planter de sens, qui ouvre sur quoi ; ramasser l’Opinel que je fais tomber en oubliant qu’il cale le battant dans la cuisine, écrabouiller le dévidoir de scotch qui occupe la même fonction dans le salon ; se baisser sous le bureau pour éteindre la multiprise ; se tordre un peu pour attraper sur le rebord de la fenêtre le chat qui ne veut pas rentrer ; tirer sur la poignée octogonale de la portée pour la claquer en faisant le moins de bruit possible… mais surtout tâcher d’insérer la clé comme un E renversé et sentir sa main repoussée une fois le pêne rétracté, la porte qui s’ouvre sur son odeur à lui, sa présence juste derrière.
J’ai ma matinée. J’ai oublié de saisir les appréciations pour le conservatoire. Je n’ai plus de matinée (mais j’ai un tiers des appréciations).
Le métro est dans les choux, je finis dans la serre du tram, à m’éventer, à deux doigts de me sentir mal.
Second spectacle pour mes élèves : je n’ai plus de couture à faire, les élèves ont encore plus de paillettes sur les joues, et je donne mes top à temps, casque sur les oreilles. Au lieu de stresser avant sa propre entrée, le second groupe s’éclate à danser la choré du premier dans les coulisses ; je dois de manière insistante leur faire signe de se mettre en ordre pour monter sur scène.
Lors des saluts, le visage de M. est au bord des larmes. Je demande à ma collègue s’il s’est blessé, il n’a pas l’air d’aller bien mais non, ce grand gaillard de dix-sept ans et plus d’un mètre quatre-vingt est seulement sous le coup de l’émotion : c’est son dernier spectacle avec le conservatoire, où il danse depuis tout petit (j’ai du mal à l’imaginer petit) ; à la rentrée, il sera au CNSM. C’est incroyablement touchant — rien de mièvre, ce jeune homme est une crème.
La photo de groupe passe à l’as. Ça se termine à peine que c’est fini, tout de suite après, dans le désordre et la débandade joyeuse, on préfère il faut avec puis sans les élèves évaporés : se souhaiter de bonnes vacances, dénouer les rubans dans les cheveux, récupérer les costumes et les trier en fonction des lessives à venir, tout ramasser, remplir une valise d’objets trouvés, mettre à la poubelle, dans des sacs, dans le coffre, effacer les traces.
SMS d’une camarade de formation : elle a trouvé les pièces « canons ».
Retour à mon canapé, où j’acte une seconde fin, celle de la série Étoile, que j’avais fini par apprécier premier degré. Surtout le personnage de Tobias, chorégraphe génial autiste insupportable attachant, caractérisé par son casque sur les oreilles et ses sorties intempestives, saluées par la même running joke : « Is he coming back? »
Petit bug quand je réalise que la coupe de cheveux de ce personnage et le bas du visage d’un autre me font penser à mon ex.
La chorégraphie sur les barres me fait regretter qu’il ne s’agisse pas d’une vraie pièce que je verrais avec plaisir in extenso. Christopher Wheeldon (le vrai chorégraphe de l’affaire) a décidément le sens du show, et son apparition en chorégraphe désarçonné par l’étoile qui fait sa diva est savoureuse.
Dimanche 22 juin
Quand c’est fini, y’en a encore : les appréciations de fin de semestre au conservatoire. Tenter de rendre justice à chacun tout en conservant une trace écrite de certaines choses potentiellement problématiques constitue un exercice de diplomatie épuisant.
Lundi 23 juin
Le retard au rendez-vous psy, bonne occasion de parler de la peur du gâchis (qui peut gâcher bien des choses), avant une glace au gianduja (que je ne sais jamais prononcer) et l’examen d’une partie de mes élèves. Nous savions tous qu’à une ou deux exceptions près elles n’avaient pas le niveau, mais je n’en ai pas moins envie de glisser sous la table ; ai-je si mal fait mon boulot ? J’ai encore beaucoup de mal à distinguer ce qui dépend de moi et ce qui dépend des élèves.
Mieux que la bataille de boules de neige, la bataille de nuages cotonneux.
Mardi 24 juin
Le collègue qui éructe d’entrée de jeu envers une autre, celle tellement crevée qu’elle en devient passive agressive… c’était manifestement la réunion qu’il me fallait pour retirer mon filtre bisounours. J’ai peaufiné ma technique de la statue de sel et les œillades d’hallucination.
Mercredi 25 juin
Dernier mercredi de l’année, je fais cours portes ouvertes, pour la chaleur et les parents.
Je reçois des cadeaux d’élèves : un porte-clé nounours que j’accroche illico à la fermeture de mon sac de danse, un bracelet à grosses fleurs roses avec des cabochons en flocons métalliques, une fleur en fils de chenille que j’accroche à mon chignon (« Tes élèves ont bien remarqué ton côté farfelu », commente la directrice) ou encore une danseuse en perles à repasser — qui ont bien évolué depuis mon enfance : ce ne sont plus des perles percées mais des billes lisses ou facettées. Cette ballerine en perles me confirme ce que m’ont suggéré d’autres dessins : une danseuse est toujours blonde et habillée de rose, sachez-le, même quand la petite fille qui la projette est brune en tutu blanc.
Je reçois des cadeaux de parents, aussi, dont du chocolat de chocolatier. Par cette chaleur, il est peu probable qu’il s’agisse uniquement de convention ; les enfants ont du cafter sur les tablettes grignotées pendant les cours.
Le dernier cours est annulé faute d’élèves, mais me sera quand même payé, youhou ! J’en profite pour souffler avant la réunion parents-profs du conservatoire, qu’une collègue plus ancienne mène gaiement, il n’y a qu’à se laisser porter, sourire et répondre du mieux que l’on peut. Des parents demandent s’il y aura la possibilité comme cette année de prendre un cours en plus, et avec quel professeur, car il y a des préférences (si je comprends bien, ici en ma faveur) ; ma collègue reprend en souriant (pense-t-on toutes deux à la dernière réunion ?), il y a des préférences, on en a tous, mais le planning, l’apport pédagogique… Le cas d’une élève revêche, que j’appréhendais un peu, se résout grâce à une maman pas du tout revendicatrice, qui se doutait bien qu’il y avait maldonne et une autre version à entendre, elle fera la médiatrice.
Nous repartons à trois jeunes professeurs vers la gare, chacun avec une rose blanche et un petit pot de nougat, offerts avec des yeux brillants — encore gâtés. L’enthousiasme des élèves met à distance les tensions qu’il peut y avoir en interne, dont on débriefe et que l’on abandonne en devisant sur le chemin du retour.
Les iris fleurissent
Jeudi 26 juin
Le bon cadeau de Noël de Mum expire bientôt : semi-razzia à la boutique de danse. C’est trop, ça entache le plaisir d’une sensation de gâchis, la somme dépassant le montant de ce qui m’aurait spontanément attirée dans la boutique.
Derniers cours : ceux de trop ? Nous ne sommes que quatre en barre au sol (trois élèves), cinq en cours classique (quatre élèves, les plus jeunes). Tout dans le goût a déjà fini mais ce n’est pas encore fini, pas tout à fait, c’est infini de fait, j’aurais envie de m’arrêter avant la fin, je papote, digresse, reviens et enfin, ça y est. Nous allons prendre un verre à quatre ensuite. Dans un bar. Je ne fuis pas. Je découvre ce que font ces jeunes femmes lorsqu’elles ne dansent pas, leurs études, sauf pour une qui est déjà une vraie adulte, comptable avec ça. Une autre est en marketing, en partance pour un stage au Canada. La dernière, ou première, ou celle que vous voulez, la plus mutine en tous cas, fait du droit, aimerait tout plaquer mais elle ne sait pas pour quoi. Je ne pensais pas prendre le dernier métro, terminus bien avant chez moi, j’attrape le dernier (l’avant-dernier ?) tram.
Vendredi 27 juin, samedi 28 juin, dimanche 29 juin
Les vacances, enfin (à une réunion près). Le boyfriend là. Il n’est plus nécessaire de tenir, mais je tiens encore, comment, à quoi, à lui qui va partir, pas dimanche mais dans quelques mois, il va partir et rester, s’éloigner dans une nouvelle maison mais pas dans son affection, mes peurs enfouies ont du mal à faire la différence, il leur parle et me chatouille le flanc de son index, c’est toi qui as commencé, c’est vrai, c’est moi qui ai commencé à m’éloigner, ne t’éloigne pas, reste avec moi, collé, koala, tes bras autour de moi ou d’une partie de moi, cuisses, nuque, pieds massé pendant que sur un écran des chaussures fluo s’agitent autour d’un ballon ovale ou que toute la misère géopolotique et climatique du monde s’immisce dans le salon. Je lutte à coup de somnolence, de salade edamame-nectarine-ricotta ou melon-haricots verts, de culotte-canapé, me réjouis de baisers toute la journée sans m’interroger sur une éventuelle prolongation sexuée, d’allers et retours jusque tard dans la matinée pour voir si et, non, le regarder encore endormi dans mon lit, apaisant comme un gros chat, nos rythmes décalés, notre amour accordé par-dessus, une échappée solo à travers le parc Barbieux qui lui échappe, il dort toujours, du bon pain au retour, pas de couvertures de survie chez Lerclerc à coller sur les fenêtres mais une ginger beer qui fera l’affaire, même si, tout de même c’est étrange, le F du bouchon ressemble à celui des finances publiques. Le boyfriend, lui, comme toujours, est au Coca. C’est satisfaisant un frigo bien rempli, observe-t-il après m’avoir aidé à faire le plein, en prévision de ma semaine de repos post-infiltration. C’est presque trop, toutes ces denrées qu’il ne va pas falloir laisser se perdre. Si seulement mes craintes-rétentions-appréhensions pouvaient, il n’y a plus qu’à, en vérité, les laisser tranquillement se vider comme les clayettes, un jour, un repas après l’autre, sans se soucier de gâcher, juste savourer. On est bien ensemble, à se dire qu’on est beau, qu’on est belle, n’importe quoi, à péter, roter, rire ou même pas, à ne rien faire et doucement apprendre à n’avoir rien envie de faire de plus, qu’être ensemble, s’avoir sous la main la peau ton odeur, je te renifle comme le chat, ton petit chat qui te manque déjà.
Trois collégiens sur un banc du parc Barbieux m’interpellent, je suis prof, c’est sûr, j’ai une tête à être prof. Sont-ce les lunettes ? Les fringues ni féminines ni sportives ? Je ne porte pourtant pas mon sweat Pronote. Je réponds couci-couça de la main : « Prof de quoi, alors ? » Ils proposent les petits, maternelle ou primaire. J’abats ma carte de prof de danse. Prof de danse, c’est prof quand même.
Lundi 30 juin
Infiltration. Je redoute la douleur au moment de l’injection, mais cela n’a rien à voir avec l’infiltration dans le dos pour la hernie, la piqûre est presque plus discrète qu’une prise de sang. Je claudique par précaution au retour, pour solliciter le moins possible l’articulation. 48h de repos / immobilisation, pile pendant la canicule. Confinée dans mon salon que les dalles de la terrasse ont vite fait de transformer en étuve, je rêve de la (relative) fraîcheur sous les arbres du parc Barbieux et m’absorbe dans la rédaction-mise en forme de ma deuxième newsletter. J’y passe l’après-midi et la soirée, jongle avec diverses applications de dessin, téléchargement, conversion, finis par avoir gif et illustrations.
Les pousses de pinellia ternata apparaissent (quelles sont toutes ces plantes que je ne connais pas ?)
Mardi 1er juillet
Vers 6h du matin, peut-être même un peu avant, j’ouvre la fenêtre pour retrouver la fraîcheur mais ne me rendors pas, malgré une nuit de moins de cinq heures du sommeil (effervescence mentale puis chasse au moustique en amont de la nuit). Le mal de crâne que j’imputais à la chaleur ne m’a pas quittée, et le Doliprane n’y fait rien : c’est un effet secondaire possible du produit injecté. Avec l’excitation, les troubles du sommeil, l’euphorie (tiens, tiens) et les bouffées de chaleur. Timing impeccable, par trente-cinq degrés.
À 7h45, mes coups de marteau résonnent dans tous les jardins du quartier. Perchée sur mon escabeau (le poids déporté sur la jambe gauche), je cloue un vieux drap housse troué et une alèse sur le caisson en bois qui abrite le store banne qui aurait été bien utile, mais que la propriétaire n’a jamais daigné réparer. Il est cassé depuis bien avant mon arrivée dans cet appartement pourvu d’immenses baies vitrées, mais d’aucun volet. L’installation est laide, mais me satisfait ; le soleil peut arriver.
@PetitPas sur Mastodon :
Nouvelle appli où il faut que j’arrête d’aller compulsivement : l’appli météo
Si tu veux la meilleure place, déloge le chat. Le boyfriend n’est pas chez moi, ni donc son chat, mais je prends quand même sa place, allongée dans le couloir, le corps offert au moindre filet d’air filtrant sous la porte d’entrée : en boudin de porte, c’est l’expression consacrée (figurent également dans son répertoire la poule de Pâques, le mignon, le lapin). Alors que je suis sur le point de sombrer dans le sommeil après de nombreuses tentatives infructueuses, j’éprouve un frisson. J’ai frais (froid ?) par 35°, mettons 28° ainsi allongée, chaud et froid en même temps. Je me relève pour attraper un drap et me recouche sur mon tapis de yoga, comate ainsi. Je songe à Sophie Galabru quand elle écrit que la convalescence nous fait éprouver l’incompressibilité du temps. La canicule aussi. La canicule serait-elle une sorte de convalescence ? J’ai chaud et froid en même temps, mais surtout chaud, la nuque brûlante. Le thermomètre indique 37,1° mais il indiquait aussi 37,1° quand je frissonnais en plein Covid, je commence à avoir des doutes sur sa fiabilité. Je finis par dormir une heure dans mon lit et le crâne désenclavé me fait l’effet d’une fraîcheur retrouvée. L’application météo dit qu’il n’en est rien.
À quel moment me suis-je dit que c’était une bonne idée de faire des gaufres salées par 35 degrés ? Je me prends une vague de chaleur à chaque ouverture de l’appareil.
Mercredi 2 juillet
Sentir l’air, le frais sur soi. Le sujet de ma newsletter m’obnubile. Je dessine, décalque, mets en page, écris, corrige, remodèle. Les pensées trouvent toujours à s’emboîter autrement, je cherche sans cesse un nouvel agencement, même pas je : ça cherche en moi, le cerveau en roue libre, tout faire tenir ensemble, les embranchements mutuellement exclusifs de la pensée linéaire. L’euphorie mentale pourrait très bien s’inverser en son contraire, et de mouliner, spiraler. Depuis combien de temps n’ai-je pas pris ma vitamine B12 ? La corrélation une nouvelle fois se vérifie.
Jeudi 3 juillet
Grande messe de clôture au conservatoire. Le volume d’information n’est pas assez soutenu pour que l’attention se soutienne d’elle-même. Je me concentre alternativement sur les quelques sièges en velours rouge élus par le soleil, les dorures-moulures, l’ombre d’un pigeon, ma posture, ce qui est dit au micro et retransmis trop fort par l’enceinte*. Deux heures à se retenir d’exister.
Puis c’est la dernière réunion, deux heures et demie à énoncer des jours, des horaires, des initiales et des combo de lettres et de chiffres pour tenter de concilier l’inconciliable. Surchauffe cérébrale. À un moment, mon cerveau a cessé de fonctionner, la phrase m’a échappée. Après, à quelques mails près, ce sont les vacances.
* Je me maudis de ne pas avoir osé bouger, de m’être résignée à subir ce qui a fait monter d’un cran mon acouphène, lequel une semaine plus tard n’est toujours pas redescendu. Ça m’apprendra, ça ne m’apprendra rien.
Le fils de ma marraine, de quelques années plus jeune que moi, s’est suicidé. Ça ne se dit pas (ça n’empêche pas de le faire). Il nous a quitté, c’est la formule, pour une fois pas si usurpée ; il y a eu action et volonté de sa part. Je ne l’avais pas revu depuis des années, depuis l’adolescence peut-être, il n’y a pas de lien affectif, pas de chagrin. Mais de la sidération, il y a. C’est irréel. Ça me réancre dans le changement, bizarrement, charriant encore plus loin un pan de passé.
Vendredi 4 juillet
Mum a filé à la mer pour l’enterrement.
Au premier étage de la médiathèque, on entend les couverts tinter dans le patio en contrebas. Je les perds d’ouïe dans mes recherches, les retrouve au moment d’aller biper mon butin. Comme une fenêtre sur un passé estival.
Pastèque, feta, olives noires, un classique estival
La terre se courbe, s’apaise et le cyclorama de la végétation réapparait lorsque je suspends ma lecture allongée dans l’herbe, dans l’ombre d’un petit arbre que j’occupe seule. Les mémoires de Petipa ne sont pas du tout ce à quoi je m’attendais. Le sujet d’une autre newsletter ?
Tendinite à l’avant-bras droit. Je résiste (mal) à la tentation d’écrire (taper), scroller.
Samedi 5 juillet
Je fais le ménage, une partie : l’appartement passe de complètement cradoc à « il faudrait passer un petit coup ». Le genou ne moufte pas : c’est l’autre genou, sur lequel j’ai basculé tout mon poids pendent quelques jours, que je sens au bord la douleur. La blague. Le soir, Mum me parle des fleurs blanches et du cercueil rouge comme un jouet d’enfant. Je n’y avais plus pensé jusqu’à me faire des gaufres à la banane (très bonne alternative au banana bread) et les manger chaudes, fondantes, éminemment plaisantes. La troisième newsletter est prête en avance. Vacance. L’à quoi bon menace. La conversation caresse.
Dimanche 6 juillet
[rêve] dernier cours du mardi soir, une barre cassée, les élèves espacées dans presque deux salles, un corps a été découvert dans le jardin du conservatoire, je laisse Laura Cappelle poursuivre le cours, me rends à la découverte du corps, il n’est pas en décomposition mais le squelette est récent, encore tâché de sang, les corps finissent toujours par remonter de terre, une armure métallique a été découverte, un pan plein, un autre aéré, la place d’un pacemaker, un arrêt cardiaque, je reviens au cours, Laura Cappelle me corrige le poids du corps dans un fondu, elle a tout assuré, j’aurais dû rester, un autre cours ailleurs à donner, s’y rendre est laborieux, le temps de trouver comment s’organiser dans les couloirs de l’immeuble panoptique, de marquer l’exercice en croix avec les mains, c’est déjà fini, nous n’avons fait que deux exercices, la circulation est déviée, le retour en train, à Marseille, compliqué
Premier dimanche du mois. C. et moi attendons l’entrée gratuite devant le palais des Beaux-Arts sous nos parapluies ; je ne pensais pas me souvenir de la sensation de froid si tôt après la canicule. On visite en dilettante, en amies qui se retrouvent, parlant de ce qui se trouve devant nous comme de ce qui ne s’y trouve pas. Dans la galerie des sculptures, on tripote des morceaux de marbre, brut, lisse, poli, de cire et d’argile mis à disposition sur des tables entres les sculptures, on admire et on médit, entre liens et anachronismes, on réfléchit à ce qu’on aimerait manger. C. reconnaît plus que moi : le Greco, une sculpture de squelette encore en décomposition, les bleus de Geneviève quelque chose, qui l’amusent moins que les textures vinyle de Soulages.
Scène d’intérieur, Jacobus Virel
Le transi, de François Pompon
(On m’a confié en DM Insta avoir connu des femmes qui se tiennent les seins comme dans la vision de Saint-Antoine au moment de l’orgasme, mea culpa.)
Une fois la dernière anamorphose de Felice Varini reconstituée, nous filons nous réfugier chez moi, bien au chaud derrière des nouilles instantanées pimpées à la hâte d’un œuf mollet mal écalé. Et c’est une après-midi de discussions sur le canapé, où je finis par m’éventer en racontant les croustillances de ma courte période Tinder. La glace fudge brownie rafraîchit, les gaufres à la banane tiennent lieu de dîner. C’est décadent, dit-on à plusieurs reprises. C. a 8 ans quand elle régresse ainsi, soit trois ans de plus que moi.
Nous reprenons la discussion sur le radeau-canapé, on feuillette un livre de recettes emprunté à la médiathèque comme un couple feuilletterait le catalogue Ikea, on tourne toutes les pages, on commente, on se donne rendez-vous pour une recette à cuisiner de concert chacune de notre côté. Puis la conversation se fait plus intime, le jour la nuit tombe, est tombée, nos pieds ont quitté terre, nous ont rejoint sur le canapé où nous parlons psy, rigidité mentale, loyauté mal placée, il faut qu’il faudrait remplacer par j’ai envie, qu’on aurait envie de remplacer par, on se corrige, on se reprend comme un métier, comme un ouvrage, jusqu’au moment où demain approche et déplier le canapé-lit.
Les mantes religieuses éclosent et sont de sortie (charmant)
Jeudi 5 juin
Premier rendez-vous avec le kiné que l’on m’a recommandé, dans un cabinet qui m’oblige à quelques contorsions spatio-temporelles : je suis accueillie par sa remplaçante. L’ironie n’est pas tragique, mais je suis dépitée… jusqu’à ce que ladite remplaçante s’avère faire de la danse classique dans l’école où je donne cours (et s’occuper vraiment de mon genou, sans m’expédier avec des électrodes pour paralléliser avec d’autres patients).
L’absurde d’avoir toujours peur de ne pas tenir et réussir à faire cours alors que c’est lorsque je donne cours que je me sens (mentalement) le mieux ces derniers temps. Le studio comme safe place hors du monde, hors de ma tête. (Les transports auront ma peau, en revanche.)
Au cours de barre au sol, les élèves parlent enfin plus librement, posent des questions, s’interrogent sur les sensations qu’ils perçoivent ou qui semblent leur manquer. C’est hyper intéressant, et l’occasion parfois de découvrir qu’il manquait des explications pour qu’un exercice soit vraiment efficace — comme ce pont avec les talons qui s’éloignent pour faire bosser les ischio-jambiers : en cherchant à résoudre pour une élève un problème de lombaires douloureuses par un alignement en « planche » (plutôt qu’une arche très cambrée), je donne à tous une précision qui faisait défaut. Les onomatopées affluent : ça travaille vachement plus comme ça. Si j’explique mal aussi !
Surprise en regardant Y. chercher l’écart : lui qui disait ne pas avoir de problème de longueur de psoas mais buter sur l’allongement des ischio-jambiers a maintenant sa jambe de devant entièrement étirée et c’est bien l’allongement de la jambe arrière qu’il manque pour arriver à l’écart. C’est le seul homme du cours, mordu : il travaille sa souplesse chez lui. Et depuis qu’il reproduit des exercices d’assouplissements actifs plutôt que passifs, ça se voit.
Ce n’est pas à cause de toi que la recherche est compliquée, c’est parce que j’ai moi le désir que l’on puisse se voir facilement : le boyfriend me débloque peu à peu comme divers niveaux d’un jeu vidéo. Net allégement de l’anxiété.
J’en reviens toujours aux mêmes motifs : culpabilité et contrôle. Quand je n’arrive pas à ce que tout coïncide, je n’en tire pas la conclusion que c’est impossible, mais que c’est de ma faute. Probablement parce que si c’est de ma faute, c’est que je peux agir sur la situation, elle n’est pas totalement hors de contrôle — ce qui me semblerait terrifiant, alors que c’est là même, dans cette absence de contrôle, que réside l’absolution. Ce serait reposant de ne pas toujours tout ramener à moi et de ne me soucier que de ce qui dépend effectivement de moi. Ce qui dépend de moi / ce qui ne dépend pas de moi : le stoïcisme comme remède à l’égocentricité ?
Vendredi 6 juin
Premier épisode de la série Étoile : c’est stratosphériquement mauvais. On a été habitué pourtant en tant que balletomanes à n’être pas trop exigeant sur la qualité des films et des séries qui prennent la danse classique pour toile de fond. On sait que les danseurs ne sont pas forcément de bons acteurs et que les bons acteurs ont rarement un niveau technique crédible pour jouer des danseurs pro ; on est habitué au mix et/ou à la moyenne des deux. Mais là… la direction d’acteurs (y compris pro, y compris célèbres) est inexistante, c’est pire que tout. Même que Neneh superstar, oui. Au moins faisait-il son job de navet avec dignité ; j’avais passé un bon moment à m’offusquer. Étoile n’en finit pas de tomber à plat, c’en devient gênant. Et c’est d’autant plus con qu’on a rarement eu des danseurs aussi bons dans des fictions à l’écran…
Deux gros pigeons se prennent (amoureusement ?) le bec. Impossible de trancher entre le partage et la scène de ménage, c’est l’illustration de cette expression si bien utilisée à contre-sens par le boyfriend que la bizarrerie a cessé de faire faute : « ils sont en bisbille » comme parties liées — en désaccord vraiment, ou de mèche ?
Comment ai-je pu laisser le carton du gaufrier-grill se couvrir de poussière ? Je tente enfin de reproduire le sandwich miso-cheddar-courge butternut croisé il y a fort longtemps sur l’Instagram de @lazysunnygirl. C’est un grand oui.
On nous demande de relire le programme du spectacle ; je bascule immédiatement en mode correctrice, à l’affût de la moindre correction ortho-typo et envoie une liste de corrections longue comme le bras (il n’y a aucune rigueur ni cohérence). J’ai quelques remords ensuite, ce n’était peut-être pas une réaction appropriée.
Samedi 7 juin
[rêve] les extraterrestres absents menacent notre survie, les hommes disparaissent, bientôt il n’y aura plus personne pour cultiver la terre, je n’ai pas encore commencé à faire des réserves de boîtes de conserve / j’ai tout perdu, perdu le boyfriend, autour d’une table reste ma mère, quelqu’un et mon oncle qui ne ressemble pas à mon oncle, vaguement à mon père ou au boyfriend, piètre figure consolatrice d’avoir tout perdu / je m’apprête à donner un cours de danse, la salle hangar ne s’allume plus une sonnerie sonne l’alerte, on attrape les couvertures que l’on peut, des serviettes aussi ça fera l’affaire, dans la cuisine de ma grand-mère j’attrape une bouteille de jus de fruits, me félicite d’y avoir pensé, hydratation et sucre pour tenir, on descend dans l’obscurité dans la cave qui est plus un entresol qu’un sous-sol, est-ce qu’on sera vraiment protégé ou est-ce qu’on mourra étouffé sous les décombres sans pouvoir appeler au secours dans la langue du pays, quelle idée d’être à l’Est quand se déclare une guerre, on n’a pas été prévenus, par la fenêtre on voit une file de loubards arriver au camping désert d’à côté, ça ne sent pas bon toutes ces gueules fermées crânes drus, JoPrincesse tente de me consoler à propos de mon livre mais ce n’est pas ça, je me fiche du livre, c’est la présence du boyfriend qui m’est essentielle, qui manque, il arrive je crois dans la file des réfugiés au camping sans tente
Quand on hésite entre angine, rhume et grippe, c’est que c’est un Covid. Encore assez léger pour que je donne cours masquée : c’est l’avant-dernier samedi de cours avant le spectacle. Ça ira pour les plus jeunes, hyper investies. Quant aux plus âgées… mon degré d’exigence est désormais que ce soit à peu près ensemble, tant pis pour l’en-dehors, les genoux pliés et les bras mollassons.
Suite à une mauvaise compréhension avec un collègue, je me retrouve avec la totalité des élèves durant l’heure de l’après-midi, soit trente élèves qui bavardent dans un même studio alors que la fièvre commence à monter. Ma voix disparue dans la matinée revient dans un cri pour rétablir le calme — effectif durant environ vingt secondes. Madame, par quel pied on commence dans le cercle, Madame, je ne trouve pas les épingles à nourrice, Madame, est-ce que ça va si, Madame, est-ce qu’on ne pourrait pas plutôt, Madame, ça va pas pour le porté elle me passe devant, Madame, pour la coiffure… Madame pare au mieux, mais Madame est hébétée (toujours un peu étonnée aussi que la coiffure préoccupe davantage les ados que le fait d’avoir une chorégraphie décente à présenter).
Une collègue est ravie de ma liste de corrections pour le programme ; ça l’agace toujours de remarquer ces approximations… et me libère des remords éprouvés après-coups.
La fatigue intense arrive dans l’après-midi, les frissons et courbatures grippales le soir. La série Étoile se regarde bien mieux ainsi assommée. Le Doliprane ne fait plus vraiment effet.
Dimanche 8 juin
Le rosier des roses roses disparues s’est réveillé plein de jeunes pousses hirsutes.
Repos, blog, lecture au soleil (je finis La Végétarienne d’Han Kang), Doliprane, mouchoirs, Sopalin. Et deux heures joyeuses au téléphone avec Melendili, à s’encourager sur nos fins d’années respectives.
Lundi 9 juin
Réveillée à trois heures du matin, grelottant d’une fièvre inexistante selon le thermomètre. Cours annulé pour cuver le Covid.
Mardi 10 juin
La fièvre n’est pas remontée ! Ne reste que rhume, mal de crâne et grande fatigue. Après hésitation, je me fais remplacer pour mes deux cours du soir, afin de pouvoir assurer de manière certaine les six du lendemain. J’aime bien la jeune femme qui répond présente pour me remplacer, lui transmets ma fiche d’exercices, la playlist qui va avec et un modèle de facture pour qu’elle ait toutes les infos ; j’aime ce moment de solidarité qui rompt un peu la relative solitude de la profession (on a du monde en face de soi, mais pas tant d’occasions que ça d’échanger entre collègues).
Les lucioles s’envolent depuis les herbes mortes
Mercredi 11 juin
Reprise. Six heures de cours avec le masque.
Objectivement mauvaise, mais plaisante : la glace gratuite chopée en pleine opération marketing. J’avais oublié que la framboise pouvait être aussi (eXtrêmement) chimique.
Jeudi 12 juin
Cette idée de newsletter danse classique me trottait dans la tête depuis trop longtemps, je m’y attelle. Cela rouvre du temps personnel au sein de cette fin d’année qui prend des airs de marathon à n’en finir pas — vraiment, excellente distraction pour me détourner des répétitions à venir et de l’anxiété qui va avec. Je suis obnubilée par tout autre chose, de gai, et retrouve l’enthousiasme d’écrire sur la danse comme aux débuts du blog, avant que les compte-rendus de spectacle, systématiques, ne deviennent répétitifs. Les premières adresses e-mails tombent en DM Insta.
Un tour au parc Barbieux ne suffit pas à me faire sortir de ma tête.
Vendredi 13 juin
Pas certaine que cette histoire de newsletter soit très bonne pour l’addiction aux shoots de dopamine, mais une autrice que j’aime beaucoup s’y est abonnée !
Samedi 14 juin
Dernier cours avant la semaine de répétition. L’enfant absente aux deux derniers cours sans justification des parents est revenue et, forcément, ne vit pas bien d’avoir été retirée du spectacle (sa famille n’étant pas du tout fiable, j’ai pris cette précaution pour éviter de me retrouver dans la situation de l’an passé que l’on m’a racontée : sans prévenir, elle n’est tout simplement pas venue au spectacle, mettant dans l’embarras ses camarades qui ont dû revoir leurs placements à la dernière minute). Elle plaide sa cause, dit m’avoir prévenue qu’elle serait absente pour une fête religieuse — ce dont je n’ai pas souvenir, mais que j’ai pu oublier au milieu de toutes les sollicitations (ça peut inclure deux samedis de suite, l’Aïd ?). Tandis que je lui rappelle qu’il faut dans tous les cas un message écrit de ses parents (elle a une trentaine d’absences non justifiées, ce qui serait largement suffisant pour déclencher un renvoi), me vient à l’esprit qu’ils ne savent peut-être pas lire et écrire ou pas lire et écrire français. J’ajoute à la hâte : ou par téléphone. Une parole écrite ou orale qui vienne d’une personne majeure ayant autorité. Reste ce doute : est-ce que je ne pénalise pas une élève à cause des manquements de sa famille ?
Les plus jeunes sont à fond, et l’on passe de probable cata à pas si mal, hé pour les plus âgées. Je serais d’humeur légère s’il n’y avait l’avant-bras scarifié de cette jeune adolescente qui devient mutique quand mon collègue et moi tentons de recueillir sa parole. Je lui propose d’écrire si c’est trop difficile à dire, et elle acquiesce, mais une fois pourvue d’une stylo et d’une feuille de papier, le mutisme contamine le geste. On dirait que ce n’est pas qu’elle ne veut pas, mais qu’elle ne peut pas. C’est trop gros pour elle, pour l’articuler, ça la dépasse. Et nous aussi. Il va falloir trouver de l’aide auprès de personnes formées pour. Je lui ai demandé de parler à un adulte, qui elle veut, pas forcément nous, mais un adulte en qui elle a confiance. J’espère qu’elle a (encore) confiance en un adulte.
Les prunes mûrissent et jaunissent
Lundi 16 juin
L. et S. ne seront pas là la semaine prochaine, c’est leur dernier cours. S. retourne en Italie au terme d’une année de césure pré-bac (chez eux, c’est avant) ; L. reviendra à la rentrée. C’est probablement l’élève qui a le plus progressé cette année. Elle était beaucoup plus fragile que les autres et a comblé l’essentiel du gap qui les séparaient. Elle me remercie, dit avoir vu la différence avec l’association où elle se trouvait jusqu’à l’an dernier : les corrections permettent de progresser et il était frustrant de ne pas en recevoir quand elle savait que ça n’allait pas.
Mardi 17 juin
Je reprends le chemin de la fac pour assister à la soutenance de M. En descendant (ou plutôt en remontant) du métro à Fort de Mons, tout est en travaux, route déviée, chaussée explosée, arrêts de bus déplacés, parpaing et pavés podotactiles entreposés sur l’espace qui a été ou sera un rond-point : deux ans seulement et le passé est déjà sans dessus dessous.
Le parc à côté de l’université est déjà désert, probablement depuis un mois. De hautes herbes occupent la petite colline de gazon où nous pique-niquions. Je transforme mon avance en promenade.
Dans la salle où je me glisse à la fin de la soutenance précédente, beaucoup de visages connus, d’étudiants et de professeurs. Une visite de courtoisie ? Le directeur de mémoire de M. s’étonne de ma présence. Il ne se doute pas que je connais M., encore moins que nous sommes amies. Quoiqu’il n’en montre rien, je le sens buguer dans la juxtaposition de la prof de danse classique, bourgeoise, valide, hétéro que je suis, et de la jeune étudiante queer, tatouée et piercée de partout, des cheveux actuellement bleus et un maquillage (de scène presque) très pailleté comme armure, qui explique avec une voix TedX avoir connu la camisole chimique et travailler sur la figure du monstre en danse contemporaine. Le pouvoir (de la danse et) de la neuroatypie. Au cours de son exposé, bien droite sur sa chaise, M. se balance d’avant en arrière pour calmer son stress — un tic que je n’avais encore jamais remarqué et un point pour le soupçon de TSA. Une amie à elle, arrivée un peu en retard s’est assise par terre en tailleur et presse son pouce contre l’index, le majeur, l’annulaire, l’auriculaire, l’index, le majeur… tandis que, derrière moi, ça crochète pour rester concentrée. Il n’y a pas à dire, nous formons une belle assemblée de neuroatypiques, cela me fait sourire.
Le tour que prend l’entretien ne me réconcilie pas vraiment avec le monde universitaire : le formatage encore une fois prime sur la pensée déployée, dont on ne saura pas grand-chose hormis qu’elle ne s’est pas coulée dans le moule attendu de la discipline telle que la conçoivent les professeurs en poste. M. résiste vaillamment, j’admire son sang-froid, sa persévérance intellectuelle.
Après un pique-nique débrief où l’on m’envie d’avoir chopé la meilleure salade VG de la cafét’, direction la kiné, qui m’explose les cuisses à coups de squats et de fente. J’en ai pour trois jours ensuite à sortir mes quadriceps de la tétanie ; autant dire qu’assurer un mercredi de cours dans ces conditions fait plus de mal que de bien au genou.
Ne pas partir d’où je pars d’ordinaire rouvre du temps, de l’espace. Je longe le parc de la Citadelle jusqu’à l’arrêt de bus, me promènerais presque. Tous les deux cents mètres ou presque, quand ça me prend, quand l’exercice mental exige sa vérification physique, je m’arrête pour tester un bout d’exercice pour le soir même. La barre s’invente le long du canal dans l’herbe, où je jette pour quelques instants mon sac et mes affaires. L’arrêt de bus est en plein soleil.
Mercredi 18 juin
L’appel du 18 juin
Après, avant l’effort, le réconfort : un sorbet banane-kiwi à midi. De part et d’autres, six heures de cours. Et des cadeaux ! Alors que je déballe une gourde isotherme ultra-légère décorée de fleurs à l’aquarelle, ma bienfaitrice observe que ma gourde était vraiment toute petite, trop petite. C’est adorablement bien vu (et généreux !). Je remercie sans expliquer que ma petite gourde de 33cl, contrairement à celles de plus grande contenance, passe sous le robinet de l’autre école de danse. Comme les fashionistas qui changent de sac d’un jour sur l’autre, j’aurai désormais une gourde-du-mercredi, c’est dit.
Au lieu de m’affaler sur la chaise rembourrée de l’entrée comme à mon habitude, je file au théâtre. Une heure et trente minutes pour placer et filer les deux danses de mes classes ainsi que celles de mon collègue de danse contemporaine, en formation. Ce n’est pas énorme, et il faut commencer par apaiser le scandale soulevé par l’annonce de ce que les chorégraphies se feront sur demi-pointes, et non sur pointes comme prévu.
Au filage de lundi, mes collègues plus expérimentés ont estimé que les élèves n’étaient pas prêtes et que le risque de glisser était trop important ; en tant que débutante, je ne peux que me ranger à leur avis, malgré la déception, la leur comme la mienne. Les élèves sont persuadées que la scène glissante n’est qu’une excuse, qu’on ne veut pas les voir sur pointes, « réservées » aux horaires aménagés. On les trouve trop nulles, voilà, j’obtiens exactement l’effet inverse de celui que j’avais escompté, la fierté d’avoir dansé, même imparfaitement, avec les pointes aux pieds. J’avais réglé les chorégraphies en fonction de cet impératif, avec des montées sur pointes qui tenaient davantage du transfert de poids que de l’équilibre pour les unes et des relevés et piétinés sur deux jambes pour les autres. Les pointes supprimées, les plus jeunes se retrouvent avec une danse bien en-dessous de leur niveau, qui n’a plus grand-chose de classique. Sans compter les élèves qui ont racheté une paire de pointes spécialement pour le spectacle… (On aime le mail d’explication-excuses aux parents à 23h.)
Même si je bute parfois sur les prénoms et laisse le micro manger ceux qui m’échappent, le placement se fait mieux qu’en février : j’ai très littéralement pris de la hauteur en me plaçant quelques rangées avant la régie. En revanche, les changements rapides de coulisse ne fonctionnent pas, les élèves n’entrent pas à temps sur scène. On fait plusieurs tentatives, en modifiant l’ordre ou la composition des groupes, mais le problème ne fait que se déplacer. Dans le désordre, je ne remarque pas de suite qu’il y a un trou : qui est là, normalement ? C’est M., me répondent les enfants. Sur le moment, j’oublie ses avant-bras scarifiés, je l’imagine partie aux toilettes. De fait, elle est bien partie aux toilettes, mais pas pour y faire ce qu’on y fait. Elle pleure, me rapporte-t-on quelques minutes avant la fin. Il n’y a plus le temps, je dois libérer le plateau et les techniciens, la répétition se termine en eau de boudin. J’abandonne irrésolu mon gros couac chorégraphique pour retrouver l’élève partie en pleurant. Mutique, plusieurs mètres devant la surveillante, elle disparaît déjà dans la voiture de ses parents.
Cafouillage sur scène, élève partie en pleurant… j’ai très envie de faire de même, attends juste d’être chez moi. Cette impression de faire de la merde…
Jeudi 19 juin
L’appréhension de la journée me fait anticiper le réveil : 6h30, alors que je suis rentrée à près de 22h la veille et que m’attend une longue journée (dernier cours à 21h30). Je suis habituée à cet enchaînement tard-tôt du mardi au mercredi, mais rempiler du mercredi au jeudi est une autre affaire.
Je n’ai jamais réglé les lumières pour un spectacle et on m’a laissée seule pour le rendez-vous. Heureusement l’ingé est adorable et pallie mon inexpérience (« Alors ça, ça va être moche, ça ne va pas rendre comme tu veux, en revanche, je peux te proposer ça… »). Je l’observe manipuler la table de montage et les lumières se matérialiser à travers la brume répandue sur scène à cet effet. L’espace se sculpte et les atmosphères se définissent lentement : non seulement c’est le matin pour nous deux, lui avec son café, moi sans, mais le travail s’apparente à du montage vidéo. C’est précis mais un peu laborieux, il faut sans cesse rejouer la séquence, ajuster, enregistrer et nommer l’effet, s’assurer que la machine a enregistré la séquence, rejouer, ajuster les temps de transition… A ma surprise, les effets lumineux ne sont pas liés à la piste audio ; je pensais naïvement qu’ils étaient rattachés à un minutage et qu’en lançant la musique tout s’enchainait. C’est techniquement possible, apprends-je, mais pas ce qu’on privilégie, car encore plus chronophage. Il faudra lancer les effets manuellement, à l’oreille.
Il est 11h, le filage auquel je ne pourrai pas assister commence à 18h30. Plutôt que d’ajouter une heure de métro à ma journée pour rentrer chez moi, je reste assister au spectacle jeune public. Mon modeste rôle consiste à mettre en marche au début du spectacle la caméra… qui montre rapidement des signes de faiblesse. Mon collègue peste contre son TDA (maintenant qu’il le dit…). Les élèves de troisième cycle, dont certains intégreront des écoles supérieures à la rentrée, sont incroyables.
J’accueille mes élèves puis pars sous près de 30°. Retrouver des apprenants adultes me fait du bien après avoir pataugé avec les enfants. C’est le dernier cours pour M. et A. qui me remercient : mes cours leur ont permis de désacraliser une discipline qu’elles pensaient inabordable ; et m’encouragent : « Surtout, ne change rien. »
Fatigue niveau vertiges.
Vendredi 20 juin
Matinée de repos avant le premier spectacle. J’arrive très en avance pour les miens, un peu en retard pour assister au spectacle des petits de l’après-midi. Je le prends en cours de route, à temps pour assister au travail de mon collègue du samedi avec les tout-petits d’éveil-initiation. Il a réussi à chorégraphier une pièce qui ait une véritable identité artistique et ne confine pas les enfants à quelques gestes très statiques : je suis admirative. Je mesure aussi à quel point les lumières participent à donner cet effet de pièce aboutie ; chaudes et sombres, elles sculptent l’espace, deviennent décor.
Attente puis agitation. Je recouds l’entrejambe d’une salopette, le revers au pied d’une autre, quatre points rouges et d’autres plus désordonnés pour raccourcir les bretelles d’un justaucorps. Vous cousez bien, madame — un justaucorps noir cousu de fil rose… je rafistole. Une fois l’échauffement passé, que j’observe dans une semi-culpabilité d’inefficacité, la plupart des professeurs disparaissent en coulisses ou à la régie. Je reste avec les élèves dans les grands espaces qui servent de loge, aide à accrocher les rubans, à faire disparaître des bretelles en les rassemblant avec des anneaux de porte-clés, collectés chez qui avait (je me retrouve avec un anneau beaucoup plus plat et serré sur lequel je ne parviens plus à faire glisser mes clés à la fin du week-end).
Les professeurs hommes ne restent pas dans ces espaces où les filles se changent, ça fait sens, mais n’explique pas totalement la répartition genrée de certaines tâches que j’ai pu observer ces derniers jours : il n’y a que les femmes qui manient l’aiguille. Il semble aller de soi qu’indépendamment de toute expertise couture, nous savons faire quelques points – n’avons-nous pas cousu nos rubans de pointes ?
Le spectacle a commencé. J’oublie, n’avais pas compris que c’était à moi de donner les top à la régie, je croyais qu’ils avaient les repères et de fait, ils les ont, puisqu’ils rattrapent le coup. Les séquences vues et revues ces derniers jours s’enchaînent. Quelques gadins quatre fers en l’air chez les horaires aménagés (les enfants les plus rodés) confirment que la scène est glissante et font passer l’amertume de mes élèves privées de pointe ; peut-être, après tout, que c’était un peu dangereux. Moi aussi je manque de me vautrer en montant saluer à la toute fin, même sans glisser ; la scène est surélevée et je calcule mal sa découpe, des avancées ayant été ménagées sur la moitié des rues seulement. Gauche jusqu’au bout.
Le plaisir de la scène l’a emporté, il y a des paillettes sur les visages et dans les regards — des élèves mais aussi des parents qui, les yeux rivés sur leur huitième merveille du monde, n’ont rien vu autour de la désynchronisation générale. Quand une mère d’élève s’exclame que la chorégraphie était originale, je réponds mécaniquement :
— C’est déjà ça.
— Mais pourquoi vous dites ça ?
Mais oui, pourquoi ? Je bredouille, la fatigue, mon cerveau a fondu. On me raccompagne en voiture, j’en profite.
Dans la dernière newsletter de La moins bonne version de moi-même, Agathe H. explore son rapport à la mode et j’ai aimé lire ce portrait à travers sa garde-robe. C’est en outre grâce à sa mention du Dressing de Jane Sautière que j’ai regardé ce que cette autrice avait écrit d’autre (pour au final préférer emprunter Nullipare).
Quand je regarde des photos de mon enfance dans les albums de famille, je hurle souvent contre mes parents à cause de la manière dont iels nous habillaient avec mes sœurs, mais bien souvent iels répondent que c’est nous qui avions choisi nos vêtements (il fallait nous en empêcher !). C’est ainsi que selon les années, nous avons eu l’air de sortir d’un kolkhoze, d’un carnaval ou d’une émission de Stéphane Bern.
(rires) à cette dernière phrase.
N’est-ce pas grossophobe de vouloir toujours avoir l’air plus mince quand on parle de « se mettre en valeur » (marquer la taille, allonger la silhouette) ?
Elle cite une réponse reçue d’une certaine Maud sur Instagram :
Être sexy peut conférer beaucoup de pouvoir en société par exemple. Et être en large ou masculine peut apporter beaucoup d’indifférence et de paix. Moi j’alterne tout le temps, j’ai besoin des deux.
Se fondre caméléon en jogging de danse dans le métro lillois. Conquérir le pavé parisien en mollets galbés et minijupe.
Il y a une expression anglaise que j’adore, “man repeller”, qu’on pourrait traduire par “repoussoir à hommes”. Il s’agit, pour les femmes, de s’habiller d’une manière qui aurait pour effet de repousser les hommes, de ne pas leur plaire. […] Je pense qu’on peut aussi repousser les hommes (ou en tous cas se détacher de leur regard/validation) en étant too much : en prenant une contrainte qu’on aurait intériorisée et en la poussant tellement à fond qu’on se met à leur faire peur.
Dans mon expérience, les couleurs vives attirent les insectes mais repoussent les relous (enfin dans mon expérience de vingtenaire ; parce que, trentenaire, j’ai disparu des radars).
Agathe H., Mode de vie(s), La moins bonne version de moi-même
Instead most of us would spend a large part of our lives making decisions based on what other people want, and what society decides is the norm at that time. Then, probably because it is so tiring to live life this way, the rest of the time we give in to our impulses as a form of compensation. Since we’ve already given up so much of our selves, we should just eat that thing, buy that thing, do whatever that gives us instant gratification because we deserve that quick dopamine hit after having to tolerate so much.
L’effet de compensation, que j’ai bien connu en tant que salariée, s’est dissipé avec ma reconversion.
Tell me, what is it you plan to do with your one wild and precious life – Mary Oliver wrote askingly in a poem.
Y’a encore du travail (psy) pour que le precious n’annule pas le wild.
To a large extent we have to face our unhappiness and lack of fulfilment alone.
Donc si je comprends bien, l’inventivité des exercices est le fruit d’un mélange de traditions corporelles et de connaissances médicales contemporaines.
Direct envie d’une enquête historique et sociologique sur la création des exercices de la barre de danse classique.
Feeling Kintsugi, de Moonassi
L’éboulement de soi, la main sur le crâne comme sur la tête d’un enfant qu’on voudrait endormir et l’autre qui tient un morceau de lui… Merci à Karl pour la découverte de cette œuvre de Moonassi.
J’ai fait des choses qui bricolent un dimanche, m’échouant là avec un constat : cette journée est passée bizarrement. Je ne suis pas sûre d’avoir vécu chaque heure, comme s’il y avait un hiatus, une maille lâche.
J’ai des inquiétudes sur le feu, mais je n’y peux rien, alors je les laisse étouffer.
une boîte à livres dans la rue déborde de jeux improbables et rares, des jeux de cartes un peu mystiques, […] on oscille entre l’oracle et le petit jeu d’ambiance, en somme ce sont autant de petites cartes dressées entre nos solitudes respectives, des passerelles, ô monde moderne
je veux tout récupérer, me relier, j’en ai plein les bras
When an average student suddenly gets an A, it is like they achieved something great. But anything less than an A is unacceptable and even embarrassing for high-performing students.
I started to contemplate that being somewhat average is actually a form of superpower. There is much more room to manoeuvre, more opportunities for experimentation. Average people are accustomed to a certain rate of failure, so they don’t take failures too hard. Wins are really celebrated and joyous because they are unexpected. […] Doesn’t this feel like a happier life?
Personally I think flying under the radar is a form of happiness […]
Les conclusions de Winnie Lim recoupent le parti-pris du boyfriend de volontiers passer pour plus bête qu’il n’est ; ça l’arrange, il préfère surprendre que décevoir. Autant dire que c’est à des années-lumières de mon fonctionnement. J’ai été cet high-performing student pour qui obtenir d’excellentes notes était normal, tandis que des moyennes, c’était déchoir.
J’aime les maisons de vacances et les choses laissées dans la cuisine par les habitants qui nous précédèrent […], j’aime que des habitudes se prennent et se défassent à toute vitesse […] et j’aime la lumière où qu’elle se pose, la traquer, la poursuivre, l’empoigner.
Je n’attends plus vraiment de réponse pour mon manuscrit sur la danse. Je n’ai pas vraiment décorrélé l’écriture de la publication, je me suis juste réappropriée cette dernière en lançant une newsletter : je publie de petites choses à un tout petit nombre certes, mais à ma guise. Un partage plus qu’une publication (mais n’est-ce pas celui-là qu’on attend de celle-ci ?).